Il ne se souvient plus exactement pourquoi Jim lui a demandé d'aller se détendre un peu, de se reposer, boire un coup ; d'abandonner son lieu de travail plus tôt, en gros. Parce qu'il commençait à cligner des yeux trop souvent, à avoir la main qui glisse et les cernes trop creusées. Sans doute à cause des nuits passées à tout faire sauf dormir ? C'est donc sans se retourné qu'il a quitté le salon de tatouage, passé sa veste sur son dos et filé directement au pub le moins cher de la ville. Même si entendre la voix grasse et érodée du propriétaire du vieux bar l'appeler gamin à chaque verre qu'il ne prenait plus la peine de faire glisser mais bien d'apporter jusqu'à lui, il était trop fatigué pour rentrer chez lui. C'était le seul qui faisait crédit, bien qu'il possédait cette propension hideuse à lui faire des avances plus que déplacées et qu'il avait cet aura écœurant qui l'enveloppait. Ce n'était tout de même pas de sa faute s'il s'était coincé dans un mariage avec des gosses et tout le bordel sans jamais avoir pu satisfaire ses fantasmes homosexuels ; c'est certainement pas Kai qui va les assouvir, plutôt faire vœux de chasteté. Mais comme une fois n'est pas coutume, il faut encore qu'il envoie chier ce pauvre proprio et qu'il quitte le bar en titubant à cause de l'alcool — surtout qu'il le soupçonne d'avoir glissé quelque chose dans son dernier verre, vieux pervers tordu. Il ne sait pas trop si quelqu'un le suivait ou si son imagination lui jouait des tours mais, en voulant éviter les parcs, les ruelles sombres et les ombres trop colossales, Kai s'était retrouvé dans cette foutue banlieue qui lui foutait une chair de poule incontrôlable. Alors comme il connaît le coin pour avoir des amis qui y habitent, il évite les préaux et autres bâtiments abandonnés pour directement se rendre du côté des appartements. Avec un peu de chance, il tombera sur Nate. Oui Nate est gentil, il est grand et fort et rassurant. Il a un sourire chaleureux et parfois Kainoa se sent atrocement coupable de venir lui réquisitionner une place dans son appart un peu étroit. Il le remercierait, un jour, oui il le remercierait un jour où les mots sont pas coincés dans le fond de sa gorge. Kai aime pas les mots, ils donnent cet impression de concret et pourtant ils restent insaisissables — et surtout, ils restent gravés quand on devrait pouvoir les effacer. Pris au piège entre les immenses blocs d'immeubles et complètement incapable de se repérer dans le noir et surtout, dans cet état lamentable, Kai avance en regardant au ciel. Il sort son téléphone de sa poche et dévérouille l'écran au risque de se prendre une claque lumineuse en pleine figure. Il déchiffre le dernier message reçu d'Izaé qui lui demande quelque chose, il ne sait pas trop quoi — il devine en voyant le point d'interrogation — et celui de Sidjay qui semble plutôt agacé ou peut-être en attente d'une contradiction de sa part puisqu'il distingue trois petits points. Il éteint tout et range l'appareil, incapable de taper le moindre mot. Il se sent capable de parler, mais pas d'écrire. D'ailleurs, il croit apercevoir Nate au loin alors, il se tourne vers l'ombre imposante et laisse ses jambes faire le reste. « Yo, Kai, qu'est-ce que tu fous ici ? Tout va bien ? » il entend la voix et se sent totalement rassuré. Il avance maladroitement, amorce une parole, est coupé par son hoquet et essaye de nouveau. « J'crois que … j'me suis perdu. Oups. » il soupire longuement, pour montrer à quel point il aurait préféré se perdre dans son quartier et tomber par hasard sur sa maison. « Oh t'as du feu ? Tu veux qu'on partage un join r'garde j'l'ai fait moi même. » il le sort de sa poche et le coince entre ses lèvres — c'est tellement pas raisonnable que sa propre conscience a failli lui foutre une droite pour que l'objet lui échappe de la bouche.